C’est un anachronisme frappant, qui démontre que l’histoire s’écrit en caps, en avant et après, et ne tolère pas les retardataires. Au lendemain de la révolution égyptienne, les gigantesques photos de pyramides suspendues à Bâle prennent un air obscène. Elles démontrent que le renversement n’a pas seulement chassé un autocrate asséché par les années, mais aussi l'étiquette Club Med de son pays. D’un seul coup, Sphinx, sarcophages et souk ont rejoint le statut de folklore mérité depuis belle lurette pour laisser place aux images de foules assoiffées d’avenir, prêtes à défier le pouvoir autant qu’à saisir un balais pour le concrétiser.
Si les dominos révolutionnaires du monde arabe vous effraient, je vous conseille un tour à Bâle. Pour 14 francs, vous grimperez dans la machine à remonter le temps, qui vous ramènera dans cette bonne vieille Egypte des Pharaons. L’immense foire Muba, équivalent du Comptoir de Beaulieu à Lausanne, en a fait son hôte d’honneur. Je salue son sens du timing. Durant dix jours, elle a vendu des statues d’Osiris, du henné en vrac et des voyages all inclusive à Sharm-el-Sheikh. On s’en doute, ce sont plutôt les dociles chevaux à poils longs (pour les enfants et l'humble blogueuse ci-contre), les démonstrations de robots-ménagers (pour les mamans) et les Ferrari ripolinées (pour les papas) qui ont drainé les 300'000 visiteurs. «Pour toi et pour moi», dirait Coop. Du rêve destiné à chaque membre de la famille helvétique, souvent venue de loin. Car ça parle tous les dialectes et ce n’est pas moi qui le dis, mais l’expert linguiste qui m’accompagnait.
L’occasion est rêvée pour introduire la notion de Bünzli: ce joli terme suisse-allemand décrit ce personnage que vous rencontrez rarement, mais qui vous donne quatre fois l’an (grâce à sa surreprésentation citoyenne) le sentiment de vivre dans un pays qui n’est pas le vôtre. Politiquement, on aurait autrefois dit Neinsager; mais depuis novembre 2009, le Bünzli s’est avéré convertible en Jasager du paranoïaque (cf. minarets, je vous passe le développement). Socialement, le Bünzli est ce petit Suisse sûr de son bon droit à rester tel qu’il est, vouant une foi illimitée à la répétition d’un comportement ancestral (armes d'ordonnance), méfiant de l’extérieur (étrangers), rétif à l’anormal (PACS), suspicieux de l’original. Il lave sa voiture le samedi et ne tond pas sa pelouse le dimanche.
Ce sont des Bünzlis par dizaines de milliers qui ont envahi la Muba. L’air enjoué, entre une dégustation de Leckerli et une de saucisson, ils ont admiré une projection sur les trésors antiques de l’Egypte. Nulle part, sur aucun visage, un tic de surprise n’a ébranlé la mascarade. Pire, leur empressement à acheter des breloques orientales a créé un embouteillage en pleine recomposition du souk éclairé de néons, dans lequel l’auteur de ces lignes a cru étouffer d’exaspération.
D'accord, tout le monde a un jour perdu un dimanche dans une halle immense, entre un aspirateur à eau et le détache-tout-qui-vient-à-bout-de-tout. Mais à 300'000 visiteurs, ce n'est plus de l'errance fortuite. Et si l'abîme sidéral qui sépare Le Caire de Bâle donne un chouette sujet de blog, les sarcasmes qui en découlent sont malsains. Car en réalité, cette Suisse convaincue de son autarcie -capable de ne voir en l’extérieur que folklore ou menace - fait mal au bide.
Décidément votre français 'à la zurichoise' est au français ce que le Bärn Dütsch est à la langue de Goethe.... Cela empire d'un article à l'autre. Merci de faire l'effort de vous relire. Pib
Rédigé par: Pib | le 18/02/2011 à 22:43