Etape n°1 : acheter des saucisses. En tant que novice, vous bénissez la marchandisation extrême de l’événement, qui vous évitera à coup sûr un impair - de type débarquer en Louboutin à une fête d'immeuble. Vous achetez donc des wurst estampillées «Sechseläuten», prise de risques zéro.
Etape n°2 : baver sur la vitrine de Sprüngli. Le chocolatier l’a bien cherché, à exhiber ses tourtes hors de prix depuis des jours. Vous auriez bien agrémenté cette humble chronique d’un «j’ai goûté pour vous», mais vous doutez que ce genre de quittance passe en note de frais. Soit, vous vous contenterez du plaisir des yeux.
Etape n°3 : garder son sérieux au passage des guignols de plus en plus nombreux dans les rues. De un, ce ne sont pas des guignols, mais les vénérables corporations historiques de la ville, le gratin dans son plus beau costume. De deux, ils tiendront ce soir la vedette, lorsqu’ils cavaleront follement sur leur monture autour du feu. De trois, autant garder vos sarcasmes pour la fin de soirée voire pour demain matin, lorsqu’ils joncheront les rues dans leurs costumes crottés d’avoir bu tout leur saoul en cette nuit de fête. Du moins, c'est le tableau qu'on vous a promis.
Maintenant, vous êtes prête pour Sechseläuten. Vous faites certes un peu tache à devoir travailler aujourd’hui, alors que Zurich ville s’offre une après-midi fériée. Peu importe, les vraies festivités de cette fin d’hiver commenceront à six heures tapantes, comme leur nom l’indique (Sechseläuten ou Sächsilüüte en dialecte signifie frapper les six heures). C’est là qu’on boutera le feu à cette variante zurichoise du bonhomme hiver – le Böögg, star sacrifiée du jour. Ce matin, les employés municipaux s’affairent sur Bellevue – place chic s’il en est, à monter son bûcher. Impossible de le préparer en avance, certain que des petits malins l'allumeraient avant l’heure. D’ailleurs, après avoir été dérobé une année, le couloir de la mort précédant son exécution est maintenant tenu secret.
A 18h, lorsque prendra le feu, chacun fera voler son regard du bûcher à sa montre. Chaque minute compte jusqu’à ce que les flammes atteignent la tête chargée de feux d’artifice: l'attente est de nature prémonitoire, à même de dire si l’été sera beau. Si le Böögg explose en moins de dix minutes, on vous promet la canicule.
Ensuite, les Zünfte quitteront la place pour rejoindre leurs closes maisons, laissant à la plèbe champ libre pour se restaurer sur leurs restes. Zurichois par milliers dégaineront saucisses et marshmallow pour s’adonner aux premières grillades de l’année, sur le lieu même du sacrifice de l’hiver.
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