Il y a un côté vieux con - mais façon alternative - qui me rappelle la Dolce Vita à Lausanne. C’est le genre de club qui dresse une ligne générationnelle entre ceux qui l’ont vécu et ceux qui ont festoyé sur sa tombe. Les uns cultivant une condescendance infinie pour les autres, et vice-versa.
Vous vous en doutez, je n’ai pas connu la Dolce. Ni la Rote Fabrik d’antan. Je parle de ses années de gloire, des 80's aux 90's bénies où Kurt Cobain nasillait sur scène devant à parterre qui cassait les fauteuils. « Züri brännt » - Zurich brûle – l'interlude helvétique à mi-parcours entre la révolte de 68 et celle du printemps arabe a fait plier la cité jusqu’à ce qu’elle cède à ses turbulents citoyens un centre culturel alternatif. Ce serait l'ancienne fabrique de soie. Rouge, comme ceux qui l'ont voulue et qui l'ont eue.
Trente ans plus tard, la Rote Fabrik a pris du bide. Prenez les ateliers subventionnés: 52 places à 90 francs le mètre-carré par an. Une aubaine pour les diplômés d’art que la ville produit à la chaîne. Et pourtant. Les artistes des premières heures ont mis le pied dans la porte et ne décollent plus : en moyenne, ils occupent leur atelier pour quinze ans, fidèles à l’esprit squat. La ville avait signifié à deux d’entre eux qu’il serait temps de mettre les voiles, mais ils arrivent à l’âge de la retraite... On ne va pas les brusquer maintenant. Et hop, les voilà repartis avec un nouveau contrat de bail de cinq ans. Quelque chose me dit que les designers frais moulus de 19 ans et demi doivent trouver le temps long.
La Rote Fabrik d’aujourd’hui, c’est un peu la ligne Reference des sacs Freitag. Un produit pour bobos embourgeoisés qui n’ont nullement l’intention d’opter pour du Ralf Lauren parce qu’ils ont atteint les quarante balais, mais qui ont franchement les moyens de sortir de H&M. Le dimanche matin, on débarque donc dans cette splendide usine de briques ocres posée à dix mètres du lac. On prend place sans réservation, on enfourne un brunch à dix balles et on sourit au chablon qui envoie les graffeurs sprayer plus loin parce que quand même, on n’est pas (plus) des sauvages. Sur la terrasse, les poussettes bouchonnent, alors on va chercher un siège pour enfant à l’intérieur. Bobo à mort. Moi, j’aime assez cette ambiance alternative chic où vous pouvez porter des hauts talons sans vous faire lyncher sur la place publique. Conne avant d’être vieille ?
Les commentaires récents