Le retraité Hans-Rudolf Merz va-t-il au théâtre? On disait le conseiller fédéral doté d’humour. Ici, c’est à un sens aigu de l’autodérision qu’il devrait recourir pour affronter la nouvelle pièce «Nepotistan-Affäre» (L’affaire Nepotistan). Le Casinotheater de Winterthur repasse le film de la débâcle autour des otages suisses en Libye, agrémenté d’une couche de fiction abracadabrante.
Le conseiller fédéral – ici Paul Jenni – n’aurait pas continué son mandat l’air de rien après avoir de son propre aveu «perdu la face» devant Kadhafi. Le Parlement l’aurait tout bonnement éjecté du gouvernement. Retraité malgré lui, Paul Jenni reste pourtant convaincu d’être le président de la Confédération. Et s’il doit bien reconnaître qu’il vit en asile psychiatrique, ce ne serait que pour des raisons de sécurité. Sa folie coule des jours heureux en compagnie d’autres schizophrènes, Jésus et le Général Guisan, jusqu’au jour où la réalité le rattrape : Kadhafi – ici Karim Amazev, dictateur ex-soviétique formé en école privée helvétique – annonce sa venue en Suisse pour discuter des otages: à condition de négocier avec Paul Jenni et personne d’autre. S’ensuit une rocambolesque tentative de canaliser la folie de l’ex-conseiller fédéral en vue de la rencontre, encadré par une thérapeute hystérique et un envoyé de Berne en sueur nerveuse.
Le scénario ne se contente pas de passer à la moulinette le Conseil fédéral et son imprévisible interlocuteur de l’Est. Co-auteur de la pièce, Viktor Giacobbo (qui ne joue pas), satiriste en chef de Suisse alémanique, en profite pour livrer un instantané du pays dans ses moindres travers. Comme un leitmotiv, le bulletin d’information de la radio DRS1 rythme le spectacle avec son annonce de hausse des primes maladie; le Général Guisan s’abandonne à une tirade excédée en allemand saccadé d’accent français sur le nombrilisme alémanique, «Dès que vous voyez un lac, c’est forcément le lac de Zurich! On n'en peut plus en Romandie de votre zuricentrisme!»; où encore le renouvèlement du serment du Grütli par les trois tarés, le Président de la Confédération, Jésus et Guisan : patrie, religion, armée – la Suisse d’hier comme d’aujourd’hui.
D’une manière inattendue, la cruelle satire réserve une touche de compassion au conseiller fédéral déchu. Un semblant d’émotion submerge la salle lorsque Jenni confesse, toute arrogance effacée, avoir fait de son mieux face au dictateur. Et n’aspirer, dorénavant, qu’à une paisible retraite.
Le fiasco libyen aurait sans doute pu se livrer sans autre fioriture, tant les maladresses timorées du Conseil fédéral et les déclarations tonitruantes et ridicules de Kadhafi constituent à elles seules les ingrédients d’une tragicomédie. Mais c’eut été se priver de cette folie joyeuse qui se joue derrière les portes fermées, loin de la retenue helvétique, lorsque les chefs d’Etat ne sont plus que des vieux hommes martelés de regrets et de remords et que les dictateurs rêvent d'un signe de reconnaissance du pays qui les a élevés. Hilarant… pour qui comprend le suisse-allemand.
« Die Nepotistan-Affäre », Casinotheater Winterthur, jusqu’au 1er octobre, www.casinotheater.ch
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